Intuitifs et spontanés, les dessins d’Abel Burger questionnent, de façon brute et intimiste, notre société en mutation.
Elle a dans sa manière de s’exprimer une spontanéité ou immédiateté qui se retrouve dans sa peinture. Une sorte d’urgence verbale qui, sur la toile ou le papier, emprunte les codes de la figuration narrative. Pour vite s'en détacher au profit d'une création très personnelle et de plus en plus libérée. Pendant des années, Abel Burger
a écrit de la poésie et des nouvelles dans des magazines littéraires "une manière de partager, de façon impersonnelle dit-elle, les choses pas forcément évidentes que j’ai vécues ou que je vis. Pas pour les dégueuler mais pour libérer des échanges et créer de l’intimité." Après des années de vie mondaine parisienne à la je t’aime moi non plus, elle a une nouvelle fois taillé la route, direction le sud, Port-Vendres, petit village calme et tranquille (sauf l’été) en bord de mer. "J’avais envie de me retrouver dans un espace plus sain, qui me permette de faire le point sur qui je suis vraiment" À peine un an après son déménagement, Abel Burger, qui fait désormais coexister peinture et écriture, semble beaucoup plus épanouie.
Pas d’exhibitionnisme.
… Je suis dingue des mains douces sur ma nuque, je suis comme construit autour de mon épine dorsale... Je ne sers à rien. Sur une toile blanche, les mots écrits à la main, de façon brute, claquent, chuchotent, crient. Exprimés oralement, cela devient du pur spoken word, histoire ou poème racontés pour divertir ou provoquer des réflexions. Des textes arides, le plus souvent écrits en anglais, langue plus abrupte, moins littéraire pour parler d’amour, de sexe, d’homosexualité, de meurtres ou de viols. "L’écriture a toujours été très facile pour moi explique Abel Burger. Je lis énormément, souvent en boucle, j’ai un côté monomaniaque car la plupart du temps
ce sont les mêmes auteurs qui ne sont plus de ce monde : Bukowski, Marguerite Duras... Il est vrai que mes textes sont crus, assez brutaux mais ils reflètent ce que je suis, ce que je vis. En ce sens, j’apprécie beaucoup Sophie Calle dont la barrière
entre vie réelle et art semble parfois inexistante. Il n’y a pas d’exhibitionnisme dans mon travail, juste l’envie de faire partager l’intimité tout en restant honnête et humble. "
Un jour, Abel Burger a mis au jour sa pulsion du dessin, sous jacente depuis des années. Elle a commencé par de l’abstrait mais très vite s’est mise à croquer brièvement des passants, dans le métro, dans la rue. Au Berlin Art Institute, alors qu’elle trouvait son travail inachevé, l’artiste Nadine Fecht l'encourage et lui dit : "Lorsque tu dessines, tu vas à l'essentiel : ta spontanéité ne correspond pas forcément à la réalité mais c’est ce qui fait ta particularité".
Un point de rupture.
Comme pour les textes, peinture ou dessin jaillissent, en acrylique, à la bombe, parfois à l’huile peu importe, au-delà de la technique ou de l’esthétique, l’humain, lui, est toujours là.
Très prolifique, l'artiste crée quotidiennement, sans relâche. "Je ne peux travailler sur une oeuvre plusieurs jours, sinon je perds en spontanéité" dit-elle. Pour se libérer d’une quelconque influence, elle évite Instagram, écoute en travaillant de la musique hip hop violente des années 90 qui lui permet de ne pas penser et de dégager une énergie non conditionnée. "J’adore Wagner, Mahler ou Mozart mais écouter de la musique classique aurait trop d'influence sur mon travail, confie Abel Burger. Or, ce que je cherche avant tout c’est de m’en libérer. Avec ses basses régulières, le hip hop se rapproche de la transe, ça me donne un rythme dans l’exécution."
Si à Berlin, l’artiste utilisait des formats A3 et A2 pour pouvoir ramener ses dessins par avion, les grandes toiles l’inspirent aussi, plus faciles car il y a du vide ajoutée à une intimité qui explose en seulement deux phrases. La monochromie des toiles a laissé place à un travail d’introspection plus brutal menant à une saturation des couleurs pour arriver, semble-t-il, à une plus grande justesse, un point de rupture. Comme pour compenser, ou s’excuser de la violence des thématiques abordées.
Un travail en cours d’édition (Voix Éditions), une résidence à Berlin jusqu’en janvier puis une exposition, dès le mois d’avril, à la galerie l’Isba à Perpignan, Abel Burger est sur tous les fronts. Elle aimerait également réaliser prochainement une performance dans l’espace public. Un art plus interactif. "J’ai envie de travailler sur la question du genre et de la masculinité avec des personnes qui me raconteraient leurs histoires. Des bouts de vie pour réveiller la sensibilité de chacun. Attention, je ne suis pas du tout dans la revendication mais dans une dynamique positive de transmission, d’échange avec les autres." En regardant son travail, et son style singulier, qui pourraient en douter ?
Article de Valentine Ducrot pour le magazine Vent Sud, 2018